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L’amnésie d’un peuple


Incontestablement l’armée française de la fin du XVIIIe et du début du XIXe siècle a été la plus forte et la plus puissante du monde de l’époque : en témoignent son effectif, son artillerie, ses victoires remportées sur les armées anglaises, allemandes... Cependant, une sévère défaite lui a été infligée par une minuscule armée de captifs et captives venus-es d’Afrique pour la majorité, le 18 novembre 1803 dans une localité appelée Vertières à l’entrée de la ville du Cap. Cette victoire longtemps occultée par l’histoire mondiale officialisée, a frayé la voie de la reconquête de la dignité de tous-tes les autres opprimé-es, humiliés-es, méprisés-es du monde entier. Dans cette petite réflexion, notre souci n’est pas de dresser un panorama exhaustif de la colonisation de l’Amérique et d’Haïti en particulier. Notre modeste ambition est tout simplement d’engager une réflexion critique autour de la signification historique du 18 novembre et de contribuer, un tant soit peu, à redonner force à cette date émancipatrice. Ainsi, trouvons-nous inacceptable le fait de célébrer le 18 novembre haïtien ar de simples gestes folkloriques, du happening et de fausses dévotions.



Une rencontre dévastatrice


La rencontre de l’Europe et de l’Amérique c’est-à-dire la connaissance réciproque de leur existence à partir de la dernière décennie du XVe siècle, appelée abusivement « découverte de l’Amérique »’, fut sans conteste l’un des plus grands événements dans l’histoire de l’humanité. Cet événement allait non seulement provoquer un profond changement dans la perception relativement restreinte que les êtres humains ont eue du monde jusqu’alors (la modification de la cartographie mondiale par exemple) mais aussi dans les rapports sociaux à l’intérieur de ces continents et à l’échelle planétaire. En Europe, toute une dynamique transitionnelle appelée joliment modernité -transition spatiale, transition économique, transition politique, transition culturelle et transition sociale- allait se mettre en route et parallèlement une opération de vol, de pillage, d’exploitation et d’extermination était mis en branle par les Européens en Amérique. Sur l’arène plus ou moins planétaire, une relation triangulaire s’était nouée entre l’Afrique, l’Amérique et l’Europe, avec l’Europe comme chef d’orchestre. Cette machine infernale allait accoucher l’un des plus monstrueux des systèmes d’organisation sociale de l’humanité ; la colonisation.



La colonisation : un processus d’infériorisation de l’Autre

Sans avoir pourtant l’intention de rentrer dans les détails, nous trouvons nécessaire de mentionner qu’au cours de son développement historique, l’humanité du moins une partie d’entre elle a connu en tant que mode de production, l’esclavage et même la colonisation. Dans son fameux texte « L’impérialisme stade suprême du capitalisme », Lénine affirme : « La politique coloniale et l’impérialisme ont existé déjà avant la phase contemporaine du capitalisme et même avant le capitalisme. Rome fondée sur l’esclavage, faisait une politique coloniale ». Cependant, la colonisation telle qu’elle s’est développée en Amérique et répandue quelques décennies plus tard à d’autres continents, a été un fait inédit. Ce système oppressif apparaissait pour plus d’un comme résultant « d’un devoir civilisationnel » des sociétés ayant réussi à maitriser leurs différenciations internes, par la « culture », la « science » et la « technique », envers des sociétés « archaïques » restées à « l’état de nature » et divisées par les particularismes. Cette justification du fait colonial sur la base des avancées techniques d’organisation interne occulte en réalité la vision que se font les occidentaux de l’Autre : « naturellement inférieur » ! S’il fallait uniquement une maitrise avancée de la science, de la nature et des outils pour pouvoir dominer l’Autre, l’Egypte et la Chine auraient infériorisé le vieux monde.


La vision occidentale de l’Autre comme « naturellement inférieur » impliquait la mise place des conditions de l’infériorisation. D’où la configuration socioculturelle de l’esclavage en Haïti : un ensemble de gens d’ethnies différentes kidnappés-es sur des territoires d’Afrique qui n’ont pratiquement aucun lien socioculturel et déportés-es dans un chaos social où la fabrication de soi est imposée violemment par l’oubli et l’abandon de soi. Il fallait s’effacer pour approprier un soi indigne imposé par le bourreau (Abandon de sa vision du monde, de sa religion, de sa culture, de sa langue). Tout était à construire dans cet univers où le passé, le présent et le futur semblent se fusionner pour dessiner un destin sombre, polaire et glacial déjà connu : des éternel.les inférioriorisé.es. Voulant dépasser cette apparente fatalité, les infériorisé.es d’Haïti se voyaient obligé.es, vu la relative similitude de leur condition d’existence, de se serrer les coudes afin de forger un avenir autre que celui qui leur était dessiné. La force des choses leur imposait la création d’un autre « soi », un soi digne d’un être humain. Cette dynamique permit à ces déportés-es de reconquérir leur mounité et jusqu’à devenir les pionniers-nières du processus de réhumanisation du monde colonisé. Ce processus a atteint son paroxysme lors de la victoire de la petite armée des dits barbares emmenée par Dessalines, Capois, Christophe sur l’énorme armée française le 18 novembre 1803. Depuis la fin du long XIXème siècle haïtien marqué par l’occupation étasunienne de 1915, le 18 novembre haïtien rentre dans une perte cyclique de signification. Des occupations militaires répétées, des monuments spoliés et/ou détruits, un drapeau de plus en plus dévalorisé (gen kote nan peyi a drapo pa janm moute ankò) … Qu’est qui reste du 18 novembre ? Face à ce cri d’indignation, une interrogation impérieuse nous vient à l’esprit :




Que faire ?


« Que faire » a été l’une des préoccupations majeures de Lénine suite à sa lecture profonde et soutenue des dérives de la sociabilité capitaliste et une certaine anticipation sur ce vers quoi elle tend à nous conduire. Pour nous, cette question garde encore toute son importance. L’absence d’un Etat et d’institutions incarnant les aspirations des classes populaires d’Haïti, l’ingérence des puissances impériales du monde et de la République Dominicaine désormais ; la gueuserie abjecte dans laquelle sont plongées les classes populaires haïtiennes ; l’analphabétisme, l’absence d’infrastructures sanitaires, éducatives, routières etc. décrivent un pays tout simplement au bord de l’abime. Face à ce chaos général, une urgence s’impose : « reconquérir et redonner force à l’ensemble des pratiques, des idées, des dates…en un mot tout ce qui faisait d’Haïti une lueur d’espoir pour les autres ». Notre proposition n’est en aucune manière l’expression d’une nostalgie ou d’une requête béate et encore moins un aveuglement devant ce maelstrom entre ceux et celles qui font tout pour mettre fin au symbolisme du 18 novembre et ceux et celles qui essayent de l’activer. Elle est tout simplement, l’expression d’une espérance ; une espérance fondée sur l’examen de nouvelles alternatives. Plutôt que de craindre l’avenir et de se complaire passivement dans des discours fatalistes, nous devrions nous mettre en demeure de lui donner un contenu conforme à nos désirs. Cela impose la conjonction de réflexion, d’action, de renoncement et d’une vraie bifurcation sur la voie du 18 novembre.


Loin de nous l’intention de négliger le support qu’une frange de la petite bourgeoisie à savoir les intellectuels-les, les étudiants-tes, les professionnels-les, certain.es militant.es etc. peut apporter à cette lutte transformatrice, cette initiative à laquelle la prudence et la maturité politique sont indispensables, doit être une nouvelle fois, l’œuvre des opprimé.es, des rejetés-es, des infériorisé.es du pays. N’est-ce pas eux qui ont su briser le mur de « l’inexistence » pour créer une langue, une religion, une vision du monde et donc donner corps comme nulle part ailleurs au (triptyque) : liberté, égalité Fraternité ? L’intelligence créatrice des classes populaires d’Haïti est à notre avis, la seule pouvant empêcher les dates historiques et symboliques plus précisément cette date lumière qu’est le 18 novembre, de s’éteindre dans la mémoire collective.


Stanley-Wood Duckson JOACHIM



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